Entretien avec Joëlle Verbrugge, avocate et auteur-photographe, ou Quand le Droit et la Photographie sont deux notions intimement liées.
Aujourd’hui plus que jamais, le photographe qui s’installe comme professionnel a tout intérêt à connaître sinon s’intéresser à la législation qui encadre son activité. En effet, selon les services qu’il propose, le photographe doit d’abord déterminer quel statut juridique lui est adapté, à savoir celui d’auteur-photographe, d’artisan ou de photojournaliste. Si le choix dépend principalement du secteur dans lequel l’activité photographique est pratiquée, il peut dépendre également de la possibilité de cumuler ou non, deux activités professionnelles. Le cumul de statuts pour un avocat par exemple, n’est autorisé que dans les secteurs de l’enseignement, la politique et l’art. S’il souhaite donc déclarer une activité photographique, seul le statut d’auteur lui est possible. Encore faut-il que les conditions d’exercice conviennent à ce qu’il envisageait de sa pratique. La question peut également être délicate pour les fonctionnaires, et plus particulièrement les militaires.
Aux statuts juridiques d’abord, leurs régimes fiscaux ensuite. Jusque juin de cette année, trois régimes majeurs existaient : le régime de déclaration contrôlée, la micro entreprise et l’auto-entreprise. Ces deux derniers viennent d’être fusionnés en faveur de l’auto-entreprise qui devient l’unique régime simplifié. Si l’artisan peut y prétendre, un auteur-photographe n’y a pas le droit. Parce qu’aux régimes fiscaux dépendent des régimes sociaux. L’auteur-photographe est affilié ou assujetti à l’Agessa quand l’artisan cotise à l’Urssaf, dont l’auto-entreprise dépend. Il faudra donc surveiller de près l'évolution de cette matière dans laquelle le législateur semble avoir oublié les artistes au moment de sa réforme.
Une fois les cadres juridiques, fiscaux et sociaux précisés (ce qui demande déjà au photographe d’avoir clairement établi les services qu’il propose et choisi la fiscalité la plus adaptée à son activité) arrive enfin le moment où la photographie peut être exercée.
Aux problématiques de la création d’entreprise, s’ajoutent à présent celles de l’utilisation et de la diffusion des images, qui mêlent à la fois des questions relatives au droit d’auteur et droit à l’image. Connaître alors certains textes de lois peut s’avérer utile voire primordial à l’exercice de la photographie, qu’elle soit professionnelle ou amatrice !
Nous pourrions considérer à ce stade la profession de photographe comme un véritable parcours du combattant, force est de constater qu’il faut se préparer à surmonter les difficultés pour jouir pleinement de son activité.
C’est pourquoi certains experts passionnés, comme l’avocate Joëlle Verbrugge, pratiquant depuis plusieurs années le droit de la photographie et elle-même auteur-photographe, ont mis au point des outils permettant de relayer l’information et de renseigner les acteurs de la photographie sur leurs droits juridiques, fiscaux et sociaux. Ayant personnellement été confrontée aux informations complexes, contradictoires ou erronées lorsqu’en 2009, elle entreprend de s’installer comme auteur-photographe, Joëlle Verbrugge décide cette même année de mettre en ligne un blog, Droit et Photographie « afin de centraliser les informations et de les mettre à jour au fur et à mesure que la législation évolue ». En une semaine les statistiques de visites explosent. Et dans son cabinet, commencent à se côtoyer une clientèle disons « classique » et une autre ciblée sur la photo. Aujourd’hui, la majeure partie des dossiers que Joëlle a à traiter, concernent le choix des statuts juridiques, le droit d’auteur, la rédaction de contrats pour des sociétés créant des services en rapport avec la photographie ou encore le vol d’images sur internet, ainsi que des litiges relatifs au droit à l'image, matière en perpétuelle évolution au fil des errements jurisprudentiels.
Joëlle est également chroniqueuse depuis janvier 2010 pour la revue "Compétence Photo" qui a édité pour la première fois en 2011 son livre « Vendre ses photos » (qui en est à sa 3ème édition en 2013), puis le livre « Droit à l’image, droit de faire des images » en 2013 également.
Joëlle Verbrugge, ou quand la passion de la photographie rencontre celle du droit.
« Au départ, je voulais être juge pour enfants » me dit Joëlle. « De la photo j’en faisais déjà, c’était une passion, pas aussi dévorante que maintenant mais j’en faisais déjà beaucoup ». Avec l’objectif de bifurquer ensuite vers la magistrature, Joëlle étudie alors le Droit, section droit privé et patrimonial durant 5 ans à l’ULB avant d’intégrer le Barreau de Bruxelles. « En Belgique », m’explique Joëlle, « il faut d’abord être avocat avant de devenir magistrat ».
Séduite par l’indépendance du Barreau, Joëlle restera avocate en Belgique durant 10 ans, dont 6 années passées dans un cabinet d’affaires dans lequel elle deviendra associée sur la fin. Les dossiers qu’elle traite à l’époque relèvent du droit des affaires, droit civil, droit des assurances, etc.
Sa vie prend un nouveau tournant lorsqu’elle rencontre son mari en Egypte, sur un bateau de plongée. Elle quitte la Belgique en 2001 pour la France, et s’installe dans le Sud-Ouest où vit son mari. Là-bas, Joëlle travaille d’abord pour une autre avocate, puis monte son propre cabinet en 2006.
Faire de la photo une activité professionnelle est une envie que Joëlle nourrit depuis longtemps. Arrivée en France, elle attendra 2009 pour s’installer comme auteur-photographe, « parce qu’en Belgique » me dit-elle, « il n’est quasiment pas possible de cumuler les statuts puisqu’il n’y a pas d’équivalent à celui d’artiste qui existe en France pour les auteurs. J’ai découvert ce statut en discutant sur des forums, et j’ai alors pensé que je pourrais peut-être le cumuler avec ma profession d’avocate. Mon bâtonnier me l’a confirmé, et j’ai obtenu mon second numéro de Siret en avril 2009 ».
C’est à cette époque que Joëlle se rend compte des difficultés rencontrés notamment sur le plan administratif, et de l’utilité d’un support sur lequel rassembler les informations. Elle crée donc en décembre 2009 le blog Droit et Photographie, afin d’informer les photographes sur l’exercice de leur pratique. Assurant une veille juridique autour du droit de la photographie, le blog permet de questionner la matière au travers d’articles informant sur la législation, commentant des jugements rendus, bref, en abordant tous les aspects de la profession. Divers intervenants, français et étrangers, avocats, comptables, etc. participent au contenu du site. Cet outil permet une information en temps réel, très utile par exemple en matière de droit à l’image, qui relève principalement de la jurisprudence.
« Vendre ses photos », une 4e édition en préparation.
Ce livre, outil indispensable au photographe qui s’installe, aborde, de façon méthodique, toutes les questions relatives aux statuts juridiques, aux régimes fiscaux et sociaux.
Joëlle m’apprend qu’au départ, elle souhaitait articuler cet ouvrage comme un « livre dont vous êtes le héros ». Ingérable à l’impression, elle a donc souhaité une table des matières pratique. Elle m’explique que « le chapitre 1 détaille qui peut faire quoi, type de photos par type de photos, mariage, portrait, photo de mode, travail d’auteur, etc. les cessions de droits. La structure de ce chapitre est restée identique dans chacune des trois éditions, mais s'est étoffée de nouvelles questions au fil du temps. Dans le chapitre 2, j’examine la notion de tirage original, j’explique les précomptes, etc. Le chapitre 3 est celui qui a le plus évolué avec le temps. Le photographe a déterminé ce qu’il voulait faire dans le chapitre 1, le chapitre 3 lui explique les démarches à suivre dans le bon ordre. Dans la première édition, ce chapitre faisait 80/100 pages, aujourd’hui, il en fait 300 à lui tout seul. J’ai souhaité faire, dans l’édition 3, un accompagnement pas-à-pas du photographe dans son cheminement lors de la première année, du formulaire de demande de Siret à sa première déclaration de revenus. La 3e édition détaille en outre considérablement la question du cumul des statuts qui avait été ébauchée dans les éditions précédentes, ou élimine certaines idées qui circulent, comme la forme associative, qui est à but non lucratif et non un tremplin pour lancer son activité. J’ai rajouté des modes alternatifs d’exercice d’une profession, et surtout j’ai inséré des tableaux et des schémas qui permettent d’appréhender clairement sa propre situation. J’essaie à chaque fois, outre la mise à jour, d’analyser des questions actuelles et de clarifier mes propos afin d’être comprise d’un public qui n’a pas de formation juridique. Le tableau par exemple, clarifie les mots et sert de support visuel ».
Dans l’ouvrage « Droit à l'image et droit de faire des images », le raisonnement est identique : les explications de Joëlle étaient claires, mais il fallait en même temps quelque chose de pratique. C’est pourquoi, à force de se relire, elle a créé ces tableaux comme « une sorte de jeu de pistes » permettant au photographe mais aussi à tout utilisateur d'images de se poser les bonnes questions dans le bon ordre avant la diffusion d’une image. Mais tout peut changer dès que la jurisprudence se modifie. Les mentalités, les techniques, et même l’imagination des gens sur la manière d’utiliser un support remet sans cesse en question la matière. « Le plus difficile » me dit Joëlle « est de trouver une sorte de règle générale ou une méthodologie dans quelque chose qui évolue en permanence, mais c'est un défi amusant, et très formateur pour tout le monde, y compris pour moi ».
Revenons aux statuts : preuve en avec la fusion de la micro entreprise et de l’auto-entreprise que la législation peut être modifiée très vite. Joëlle m’explique en effet que la loi a changé en juin et que les Décrets d’application annoncés dans les 6 mois ne sont pas encore rendus. « L’auto-entreprise étant plus simple, ceux qui veulent un régime simplifié seront donc auto-entrepeneurs. Jusque-là cela peut encore se comprendre, ça limite les charges sociales. A part que lorsque le législateur a pris cette décision, il a totalement perdu de vue qu’en France il y a des milliers de personnes qui sont artistes, qu’ils soient auteurs, peintres ou sculpteurs, et que ces personnes n’ont pas le droit d’être auto-entrepreneurs (…) On arrivera peut-être à une situation où tous les auteurs-photographes n’auront plus le choix et devront opter pour un régime détaillé, ce qu’on appelle la déclaration contrôlée et qui existe aussi pour les artistes. La fiscalité en est plus compliquée (…) Je ne peux pas donner une information à jour car je ne sais absolument pas comment ça va évoluer, ne fût-ce qu’au niveau pratique, il y a des tas de formulaires que je détaille dans mon livre et j'ignore quelle forme ils prendront ». Dans l’attente des Décrets d’application ou d’un nouveau remaniement législatif qui reste illusoire, les auteurs-photographes se retrouvent donc dans une sorte de « vide juridique » sur lequel personne ne peut les renseigner. L’attente reste de mise, la 4e édition du livre « Vendre ses photos » est en suspens, faute dans l'immédiat d'une base légale ou réglementaire.
« Droit à l’image, droit de faire des images »
Il y a essentiellement 4 ou 5 articles sur lequel repose le droit à l’image. Il y en a 2 dans le code civil, l’article 9 qui garantit le respect de la vie privée, et l’article 16 qui assure le respect de la dignité humaine. Joëlle ajoute que « la Convention européenne des droits de l’homme réaffirme ce droit à la vie privée dans les mêmes termes ou presque. Il y a ensuite toute une série de dispositions ponctuelles comme la présomption d’innocence qui n’autorise pas la représentation de quelqu’un menotté tant qu’il n’a pas été condamné ». Le droit à l’image est donc constitué de dispositions légales qui s’accrochent à « une structure générale assez sommaire ». « Quand on a compris cela » signale Joëlle, « on a compris que le droit à l’image dépend donc de la jurisprudence ».
La jurisprudence désignant l’ensemble des décisions rendues par plusieurs tribunaux sur un problème juridique donné, celle-ci reflète par conséquent l’interprétation du droit et des lois. « Et comme les hommes sont différents, dans des tribunaux différents avec des vécus et des sensibilités différents, même s’il existe une trame juridique ou légale, chacun possède une grande latitude pour interpréter les faits et les textes. C’est pour ça qu’on a des décisions parfois qui se contredisent et compliquent la matière ».
Joëlle expose donc dans son livre, les bases de la législation et de la jurisprudence en matière du droit à l’image. Elle met en lumière les conflits récurrents qui opposent bien souvent le droit à l’image à la liberté d’expression ou au droit à l’information. Au travers de situations pratiques, comme la photo d’enfants, de mariés, de mannequins, de personnalités publiques, etc., et en exposant de nombreuses affaires traitées par les cours et les tribunaux, Joëlle explore les enseignements tirés des différents jugements ou arrêts.
Elle apporte des éléments de réponse précis à des situations précises sur lesquelles le lecteur peut faire l’analogie avec sa propre expérience. Elle finit par proposer une méthodologie permettant au photographe de se poser les bonnes questions avant de diffuser ses photos.
« Le numérique a favorisé la rapidité de diffusion des images » me précise-t-elle, « et il y a un minimum de bon sens à avoir, on ne traite pas de la même manière une photo utilisée dans le droit à l’information, dans la liberté de création artistique ou dans une utilisation commerciale. Et si l'on manque de ce bon sens, ou que l'on omet de s'informer, on risque bien de se le faire rappeler plus énergiquement par un Tribunal ». Selon l’utilisation de l’image et le mode de diffusion, sans parler des contrats et des autorisations qui encadrent l’exploitation de la photo, le droit à l’image ne s’applique donc pas de la même façon. Etayer le sujet par l’intermédiaire d’affaires juridiques permet de l’appréhender plus facilement et de comprendre ce qui est admis ou non de faire.
Et parce que le droit à l’image ne s’applique pas qu’à la photographie, toutes formes de représentation comme le dessin, la peinture ou la sculpture étant concernées, le livre s’adresse autant aux créateurs qu’aux utilisateurs d’images, toutes professions confondues.
Faire des photos est une liberté que possède chacun, même si, comme nous l’explique Joëlle dans son livre, la prise de vue peut être réglementée dans certains lieux comme les musées, les aéroports ou les gares (une réserve étant faite toutefois sur la légalité de certaines de ces « réglementations »). La diffusion des images dans un cadre public, quant à elle, est toujours encadrée juridiquement.
Jamais un photographe ne devrait avoir à regretter de n’avoir pu saisir un moment. Les questions relatives au droit à l’image viendront toujours après. Etre informé ne doit pas devenir, par conséquent, un frein à la création. Par contre, connaître les modalités de diffusion, les droits, les interdits, les risques liés à l’utilisation de ses images, épargnera au photographe, peut-être et même sûrement, les litiges qui le lient trop souvent à la justice.
Merci à vous Joëlle.