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Mercredi 12 mars, 12h45. 

BERNARD MINIER, DES AMITIÉS, UN PARCOURS

Photographe publicitaire, auteur-photographe, directeur artistique du Festival Européen de la Photographie de Nu à Arles, membre fondateur du collectif La Clic... Bernard Minier n'aura de cesse d'oeuvrer tout au long de sa carrière pour le partage de la photographie, possible par l'organisation de débats, d'ateliers, de rencontres entre photographes professionnels, amateurs et passionnés.
Celui qui se décrit comme un photographe engagé l'est sans conteste, intervenant dans le paysage photographique sous diverses formes, mais toujours sous le même angle, la volonté de favoriser l’échange de regards multiples.

Mardi 29 mars, 13h15

Je suis dans le RER qui m’amène à Gif-sur-Yvette, une commune verdoyante de l’Essonne, nichée dans la vallée de Chevreuse, à une vingtaine de kilomètres au sud de Paris.


C’est ici qu’un certain Fernand Léger, pionner du cubisme français, s’installe à l’épilogue de sa vie au Gros Tilleul, une ancienne guinguette bâtie en 1811. C’est dans la salle de bal, dont la hauteur sous plafond est impressionnante, que l’artiste installe son atelier pour y peindre ses dernières oeuvres.

 

C’est aussi dans cette région que Bernard Minier grandit, étudie et découvre la photographie, avant d’acquérir à son tour le Gros Tilleul et d’aménager également dans l’ancienne salle de bal, un autre lieu de création : son studio photographique.

Jean-Pierre Pincemin, un déclencheur

Bernard n’est encore qu’un adolescent quand son chemin croise celui de l’artiste peintre et sculpteur, Jean-Pierre Pincemin. « Il était membre du mouvement Supports/Surfaces, un groupe de peintres marginaux mais surtout révolutionnaires » me raconte-t-il. « C’était à la fin des années 60. Ces peintres remettaient en question la peinture classique, traditionnelle, et le rôle du peintre dans la société. Je me sentais assez proche de ce discours ».

 

Avant de vivre de sa peinture, Jean-Pierre Pincemin était directeur de la Maison de la Jeunesse et de la Culture dont la maison centrale se trouvait à Bures. Après le lycée, c’est là-bas que Bernard Minier et quelques-uns de ses amis passaient du temps, parce que « c’était un lieu de vie pour nous, c’est là qu’on se retrouvait, qu’on discutait ». Il y fit rapidement la connaissance de Jean-Pierre Pincemin.


« Il nous a d’abord intéressés à la sérigraphie » raconte Bernard, « et tout doucement, il nous a fait entrer dans la Commission arts plastiques de la MJC, nous a fait rencontrer des peintres, nous a un peu initiés à l’art en nous emmenant à des vernissages à Paris. Mes amis et moi ignorions alors tout de ce milieu. C’était en même temps l’époque où nous nous intéressions à la photographie ». Jean-Pierre Pincemin les fit entrer dans le Club Photo de Gif, les incitant à prendre des responsabilités, à organiser des expositions.


À la veille de mai 68, « où les 15/17 ans n’étaient pas très malléables et influençables » admet Bernard, Jean-Pierre Pincemin regorgeait de malice pour intéresser les jeunes et les inciter à s’investir dans de nombreux projets sans les contraindre.


C’est peut-être avec un peu de nostalgie, en repensant à ses débuts, que Bernard avoue que cette sensibilité artistique qu’il nourrit depuis, serait peut-être restée enfouie sans cette rencontre. « Ou peut-être pas » ajoute-t-il, « mais Jean-Pierre Pincemin et ses amis en ont inévitablement été les déclencheurs ».

 


Après un apprentissage de la photographie dans une école privée à Paris, Bernard Minier profite de ce qu’on pourrait appeler « l’âge d’or de la photographie industrielle ». « C’était dans les années 70, on pouvait travailler 3 mois en tant qu’assistant, et 3 jours plus tard trouver un poste de tireur ».


À Boulogne, la Régie Renault avait un service photo intégré. Bernard y entra « un jour de juin » me dit-il, « pour la préparation du salon de la photo. J’ai été embauché pour le tirage noir et blanc, un travail qui devait durer tout l’été. Je n’ai jamais signé de contrat, et alors que la saison s’achevait, je ne savais pas si je devais partir ou rester ». Finalement, Bernard Minier revint le lundi suivant, puis le lundi suivant, et resta dans l’entreprise pendant 12 ans.


Il fit très longtemps du reportage en usine, à l’argentique ; les conditions de prises de vues étaient très différentes de celles qu’on connaît aujourd’hui. Les missions duraient deux à trois semaines, « on éclairait toutes les scènes, des chaînes de montage immenses » souligne Bernard. Puis les budgets ont été réduits… en conséquence la durée des missions aussi, « puis les missions elles-mêmes, pour s’arrêter complétement, assez brutalement ».

 

C'est à cette époque que Bernard commença un travail d’illustration au sein de l’agence Diaph. « C’était vers 1984/85, il y avait une pénurie d’images de la vie quotidienne, j’ai donc produit beaucoup d’images dans ce domaine-là ». C’était avant l’arrivée de Bill Gates qui annonça sa photothèque mondiale, avec le rachat, entre autres, de fonds historiques. La rémunération des photographes d’agence évolua ; ils étaient payés alors sous forme de « forfaits », selon le volume de photographies vendues aux magazines. Cela devenait très difficile pour les photographes de vivre de l’illustration. « Peu d’agences ont d’ailleurs survécu » me dit Bernard, qui finit par quitter Diaph avec ses 30 000 clichés sous le bras. Ce fut un « beau » départ, si on considère certains photographes récupérant leur fonds sur le trottoir quand leurs agences fermaient sans crier gare.


Au début des années 90, Bernard monta son « entreprise » avec 2 amis photographes, BHL, « qui est davantage un nom qu’une entité. Nous y possédons chacun notre statut ». Bernard continue de répondre à de nombreuses commandes, du secteur publicitaire à l’industrie, tout en animant des ateliers photo et en dispensant des cours auprès d’amateurs et de professionnels de l’image.

Studio de Bernard Minier

Quand ce n'est pas Bernard qui parle photo, ce sont ses amis, connaissances photographes reconnus, comme Jean-Louis Courtinat, Uwe Ommer ou encore Jane Evelyn Atwood, qui le font aux Jeudis photo de La Clic. Ces soirées sont organisées par le collectif La Clic dont Bernard est l'un des fondateurs. Les photographes invités y présentent leur travail, débattent et répondent aux questions du public. Une autre façon pour Bernard et les autres membres de la Clic, d'« échanger, de partager et développer leurs envies et leurs visions de l'image, des images » (Audrey Denis, présidente du collectif).

Jean-François Bauret, l’authenticité emprunte de simplicité

Après avoir travaillé dans l’illustration et pratiqué cette photographie lissée qui commençait à l’ennuyer, Bernard Minier entama un travail plus personnel,

« authentique, simple, moins anecdotique », que le photographe Jean-François Bauret, rencontré à la même époque, influença.

 

« Jean-François était un photographe issu de la pub. Il a toujours été dans une sorte de mouvance de contestation ». Si on connaît tous la photographie d’Yves

Saint-Laurent nu par Jeanloup Sieff, réalisée en 1971, Bernard m’apprend que Jean-François Bauret fut aussi parmi les précurseurs sinon le premier à photographier un homme nu pour une publicité. C’était 4 ans auparavant, pour la marque de sous-vêtements Sélimaille. « Ses travaux tranchent avec la photographie publicitaire » me dit Bernard. En effet, les portraits et les portraits nus en noir et blanc que Jean-François Bauret a réalisés tout au long de sa carrière, sont d’une « simplicité et d’une authenticité sans retenue de la part de ses modèles, anonymes ou personnalités publiques ». Jean-François Bauret photographiait les gens pour ce qu’ils étaient, tels qu’ils étaient.

 

 

Là où Jean-Pierre Pincemin avait ouvert la voie, Jean-François Bauret allait la jalonner.

 

Bernard se mit à portraiturer les gens, à les photographier nus, « tout le monde, n’importe qui ». Sans distinction. L’Autre. « Avec simplicité ». Toujours en noir et blanc, au moyen format, privilégiant le format carré et une économie de moyens, « une seule source lumineuse la plupart du temps ».

 

Ses photographies, tout comme Jean-François Bauret le faisait, Bernard Minier les réalise selon une « collaboration » avec ses modèles. Sans acte gratuit.
Pour sa série « Mots d’elles » par exemple, exposée en 2001 au Festival Européen de la Photographie de Nu et dans laquelle l’écrit est intimement lié au corps qui en devient le support, « les textes étaient choisis en amont avec le modèle » m’explique Bernard, « avant que je réalise le pochoir et que la prise de vue soit programmée Â».

 

Cet attachement à l'Autre, cette recherche de l'intime, on la retrouve encore dans une série sur les poupées Barbie, dans laquelle de jeunes femmes y expriment, souvent avec violence, leur ressenti, leurs émotions, à l'égard de cette poupée qu'elles chérissaient petites.

 

Ce qui importe dans l'image, c'est la pluralité des regards. Celui de l'auteur, inévitable. Mais aussi celui du modèle, acteur de cette image.

 

Que ce soit dans l’exercice du portrait, du portrait nu ou de la photographie de nu, le rapport à l’Autre « doit être abordé avec le plus de simplicité possible ». Loin des stéréotypes de beauté ou de la photo de charme. Le corps est vecteur de messages forts.

 


Cet intérêt pour la photographie de nu, un photographe à l’autre bout de la France, Bruno Rédarès, le partage. Rien ne prédisposait Bernard Minier à le rencontrer, et pourtant…

Bruno Rédarès, ou le prologue du FEPN

À la fin des années 90, Bernard Minier dispensait des stages photo en studio à Gif-sur-Yvette quand Bruno Rédarès en donnait à Arles, en extérieur. Par le biais de stagiaires communs, Bernard entendit parler une première fois de Bruno. C’est à Bièvres, où chacun présentait ses stages, que Bruno Rédarès et Bernard Minier firent connaissance.


L’idée d’un festival de la photographie de nu germa très vite et les deux hommes organisèrent à Arles, dans la Chapelle Sainte-Anne mise à disposition par la ville, la première édition du festival en 2001. Un concours photo fut organisé par leur partenaire Chasseur d’images et les photos des lauréats furent exposées aux côtés de celles de Bernard Minier, Bruno Rédarès et Luc de Bast, photographe belge.

 

« Les visiteurs étaient au rendez-vous » me dit Bernard, « alors on a décidé de recommencer l’année suivante. C’était comme revenir chaque lundi au travail, on est revenu tous les ans ».


Au fil des éditions, le festival a su gagner la confiance du public et des médias, et s’est imposé dans le paysage arlésien comme le rendez-vous annuel et immanquable des inconditionnels, photographes, amateurs, passionnés de la photographie de nu.

 

Cette année, l’édition marque le départ de son directeur artistique, Bernard Minier, qui y expose sa série « Bas Z’art chimique Â».

Bas Z’art chimique, quand le hasard fait bien les choses

Depuis l’invention de la photographie et la première image fixée par Nicéphore Niepce, on a cherché à pérenniser les images, à leur éviter la corrosion et le noircissement. De l’image latente formée dans l’appareil photo à celle révélée puis fixée sur le négatif, un procédé chimique opère. Au tirage également.


Si aujourd’hui Bernard Minier ne développe plus lui-même ses films, il continue cependant à faire ses planches contact dans son laboratoire argentique.
Bas Z’art chimique, comme son nom l’indique, est la récupération de toutes ces planches-contacts « ratées », mal exposées, mal fixées, abandonnées dans les bacs et que le temps et les chimies altèrent.


À l’origine de ce travail, des accidents, « tout est toujours accidentel ». Comme l’avait si bien exprimé le philosophe John Stuart Mill : « la photographie est une brève complicité entre la prévoyance et le hasard ». Dans le noir ou sous la lampe inactinique, le papier sensible continue à vivre, « les oxydations temporaires colorent le noir et blanc ». Si certaines planches peuvent sécher et être conservées, d’autres au contraire, à la lumière, ne sont plus les mêmes. Sans le numérique, sans scanner ces résultats aléatoires « parfois encore humides », ce travail ne serait pas possible.

 

Le hasard interagit, avec l’image et les chimies, créant un nouveau visuel « emprunt de poésie ». Comme l’a écrit Bernard Minier, « le temps et la chimie revisitent mon travail de façon aléatoire et accidentelle, ferricyanure et hydroquinone malmenant la matière argentique comme on fouille la chair pour tenter de trouver l’être, d’approcher sa lumière ».


« Comme pour cette recherche de l’autre » et j’ajouterai : dans tout ce qui fait la vie d’un homme « souvent la confusion s’invite ».

 

 


Merci à vous Bernard, d'avoir partagé avec moi, avec nous, passionnés de photo, plus de 40 ans de photographie, 40 ans de votre histoire et des rencontres qui les ont marqués.


Sites web :
www.photo-bhl.com
www.laclic.org
www.fepn-arles.com

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